Fille du XIXe siècle et contempo[1]raine de la Révolution Industrielle, la photographie a accompagné la mécanisation du monde. Des premières expérimentations empiriques de Nicéphore Niépce entre 1816 et 1833 aux capteurs intégrés aux Smartphones toujours plus perfectionnés et automatisés, la photographie n’a cessé d’accompagner les évolutions techniques.
Dès les origines du médium, l’industrie, encore balbutiante, est un motif photographique en soi. Quel meilleur moyen que la photographie pour saisir et faire savoir le progrès et les avancées technologiques? L’amateur éclairé saisit pour la postérité les bâtiments qui ont fait sa fortune, preuve de sa réussite. Ainsi, au mi-temps du XIXe siècle, le Chalonnais Joseph-Fortuné Petiot-Groffier immortalise son usine avec sa chambre photographique et ses plaques au collodion avant de réaliser lui-même ses tirages sur papier salé.
L’arrivée fracassante de Georges Eastman à la fin du XIXe siècle achève de sortir la photographie de l’artisanat. Les inventions successives de l’appareil prêt à l’emploi et de la pellicule souple marquent un tournant: réduction des coûts des matériaux et de la taille des appareils, qui sont désormais produits en série avec les supports photosensibles, etc. Autant de révolutions qui installent le médium photographique au cœur de la culture visuelle des sociétés et des pratiques de fabrication des images. Le médium photo[1]graphique est lui-même un objet industriel, qui se mettra naturellement au service des autres types d’industries.
La photographie industrielle se normalise rapidement et des motifs se dégagent: les vues d’architecture [l’intérieur et l’extérieur du bâtiment], les machines, les ouvriers, les objets produits. Fascinés par l’industrie et l’industrialisation de la société, eux-mêmes parties prenantes de cette industrialisation par la multiplication des fabricants d’appareils, les photographes de l’entre-deux-guerres accompagnent naturellement le mouvement: René Zuber, Régis Lebrun, André Steiner, Pierre Boucher, Jean Moral, les constructivistes soviétiques, etc. Les progrès de l’imprimerie et de la mise en page encouragent la multiplication des titres de presse [VU, Art et Médecine] et de supports de communication [affiches, brochures, etc.] pour lesquels on fait appel à des photographes pour illustrer, documenter, faire vendre. Ce mouvement de balancier concourt à un foisonnement de photographes, de clichés, de documents imprimés dont le point d’orgue sera La France travaille de François Kollar entre 1931 et 1935. De leur côté, les Éditions Paul-Martial vont se mettre au service des industriels pour élaborer leurs supports de communication, rassemblant différents corps de métiers [photographes, graphistes, imprimeurs].
Les Trente Glorieuses achèvent de faire de la photographie le principal relais de l’industrialisation et constituent son âge d’or. Tout est à reconstruire, les pouvoirs publics sont en soutien, il s’agit de faire et de faire-savoir. Des photographes se spécialisent, tel André Papillon qui cesse son activité de photoreporter pour créer un studio dédié à l’industrie et à la publicité. D’autres financent leurs travaux personnels grâce à cette manne nouvelle, comme Jean-Pierre Sudre. Les motifs restent les mêmes et, de l’architecture à la machine, de l’ouvrier à l’objet, l’industrie semble toujours autant fasciner les photographes, qui s’autorisent parfois une certaine licence pour apposer leur « patte », la normalisation de la commande imposant une standardisation des clichés.
Aujourd’hui, alors que la globalisation et le libre-échange ont déstabilisé le monde industriel et que les chaînes de production ont été délocalisées, les commandes se raréfient. Si la photographie publicitaire est toujours de mise, si la photographie d’architecture fait encore l’objet de rares commandes par les industriels, les foisonnements de l’entre-deux-guerres puis des Trente Glorieuses sont derrière nous. De leur propre chef, des photographes s’emparent de la désindustrialisation, interrogeant la fin d’un monde, réinterprétant pour mieux les questionner les codes de la photographie industrielle, tels Mitch Epstein, Stéphane Couturier, Claire Chevrier, Stephen Dock, Valérie Couteron, Bertrand Meunier, François Deladerrière ou Sylvie Bonnot. Ce faisant, ils usent du médium photographique pour questionner le geste ouvrier ou le devenir des architectures industrielles désormais obsolètes.
Les tirages de Valérie Couteron et de François Deladerrière sont réalisés par le laboratoire du musée Nicéphore Niépce avec du papier Canson Infinity dans le cadre du mécénat Canson.
Une publication accompagne l’exposition «La vie silencieuse de l’industrie» aux éditions du Bec en l’air, consacré au travail de Jean-Pierre Sudre pour l’industrie durant les Trente Glorieuses.
Exposition du 28 juin au 21 septembre 2025
Musée Nicéphore Niépce
28 quai des messageries
71100 Chalon-sur-Saône
Entrée gratuite tous les jours sauf le mardi et les jours fériés de 9h30 à 11h45 et de 14h à 17h45
Plus d’infos sur www.museeniepce.com